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Chronique 51 - Management, démocratie et religion Comment tisser le lien social

Il est impossible de vivre ensemble si l’on ne pose pas le même regard sur les événements. Comme toutes nos conversations, management et démocratie visent à faire converger nos diagnostics et nos projets. Encore faut-il comprendre pourquoi et comment les religions se sont emparées de cette responsabilité depuis la nuit des temps.

Internet dévoile chaque jour un peu plus les limites et imperfections de tous. Chacun de nous cherche à se faire un avis, mais reste souvent désarmé face au vrai comme face au faux. Élu ou manager, tout dirigeant constate la limite de ses relations avec ses équipes. Construire la cohésion et la performance durable suppose de remonter à la source du lien social.

                        

Les trois ordres constitutifs d’un corps social

La plupart des théories anthropologiques proposent un même type de découpage de la société en trois ordres aux rôles distincts et complémentaires : les masses silencieuses, dirigées par un pouvoir temporel et un pouvoir spirituel.

 

Le groupe ultra majoritaire des foules constitue l’essentiel du corps social. Presque absent de toute chronique historique, il est pourtant l’acteur clé de la production des richesses. Il chemine par lui-même selon ses inclinations et innovations.

 

Lorsqu’il arrive à un carrefour qui l’oblige à choisir entre plusieurs options, la crise (du grec ancien « Krisis » : « décision ») est gérée par un pouvoir temporel. A lui de concilier les contraintes, opportunités et même les contraires enchevêtrés au quotidien. Or, du fait de la complexité inhérente à la vie, aucune décision ne fait l’unanimité et aucun décideur ne parait toujours juste aux yeux de tous !

 

L’examen des dissensions est assumé par un troisième acteur, qui n’est ni juge, ni partie. A côté des décideurs opérationnels, le rôle de cet autre pouvoir à caractère spirituel est de produire des analyses partagées, tant des situations que des personnes et de leurs actes. Sa fonction consiste à formuler des diagnostics et préconisations dans lesquels tous se retrouvent. A lui, la responsabilité de mettre en perspective la diversité des intérêts particuliers et de les faire converger dans un intérêt général à long terme. A lui la charge de réaliser l’union sociale, le rapprochement entre ceux qui s’estiment lésés à tort ou à raison.

 

L’enjeu : construire une analyse partagée

Dès lors, une grande difficulté se présente : partager les analyses suppose de partager d’abord les critères d’analyse. Or, s’accorder sur un même diagnostic suppose que les repères pris en compte par les uns et les autres soient les mêmes. La nécessité d’un référentiel commun et reconnu émerge donc. Ainsi, face à la quantité et la diversité des sujets, faits, idées et personnes, il doit de plus constituer une seule et même gamme de paramètres d’évaluation. Sinon, s’il n’est pas utilisable par tous en toutes circonstances, il cesse d’être accessible et chacun est alors libre de s’appuyer sur ses propres références. La porte est alors ouverte à l’élaboration de raisonnements individuels dissociés les uns des autres et donc à des conclusions personnelles, différentes et déconnectées de celles des autres. Si l’on veut conserver une chance de produire des évaluations conjugables, la première clé essentielle réside donc dans l’établissement d’un système de valeurs à caractère universel.

                                                                         

Un autre problème surgit alors immédiatement : plus les critères sont généralistes, plus ils s’éloignent des spécificités du terrain. A mesure qu’ils deviennent polyvalents, ils glissent vers la théorie et deviennent conceptuels. Pour rester concrets et utilisables en pratique, les références doivent être visibles, accessibles, présentes en continu, omniprésentes, dans tous les esprits au point d’imprégner le système et ses acteurs.

 

Dès lors, la large adoption des valeurs provient de leur entrecroisement avec deux autres clés, tout aussi cruciales :

 

  • Un narratif de l’histoire collective : l’intérêt des repères collectifs est démontré au travers de leur impact positif, même déterminant, dans les instants décisifs pour les personnages phares du récit. C’est l’ancrage des valeurs dans le passé.
  • Des gestes individuels et collectifs habituels : la réactivation et le rappel des repères collectifs pour les faire vivre et revivre, est rendu possible par des actions simples, reproductibles par chacun à volonté et à haute fréquence. Cette réaffirmation de l’appartenance et de l’adhésion au sens, y compris dans la vie de tous les jours, permet l’ancrage des valeurs dans le présent.

 

Ainsi, l’imaginaire et le quotidien sont alors balisés de marqueurs simples, un tissu de symboles qui forment un réseau de liens directs avec les valeurs partagées.

 

Là, se fait jour la quatrième clé indispensable : l’établissement de la fonction de porte-parole des valeurs, c’est à dire la sélection des acteurs qui en maîtrisent les rouages intellectuels. A ces intervenants, la mission particulière d’adapter le sens de la symbolique rituelle et historique de façon formelle et informelle, lors d’événements de toutes natures. A eux, la responsabilité de rapporter, expliciter et appliquer en toutes circonstances le récit et les valeurs qu’il transporte. Repérer et instituer de tels animateurs de rencontres individuelles et collectives, délégués au partage des valeurs s’avère donc stratégique. La gouvernance de ce siège du Juste doit être régulée de façon minutieuse : son exercice au jour le jour consiste à repérer et sélectionner les personnes au profil adéquat, puis leur offrir un processus progressif de développement personnel et collectif.

 

 

 

Ainsi, le sésame de la cohésion sociale durable repose sur la combinaison réussie de quatre clés intriquées : des valeurs à caractère universel, un narratif qui les ancre dans le passé, des gestes simples et répétables qui les font vivre au présent, des animateurs qui décodent la complexité et la projettent dans l’avenir.

 

 

Le parallèle entre religion, management et démocratie

 

 

Dans l’histoire de l’humanité, ce sont les religions qui ont articulé ces quatre clés. Leur système de valeurs partagées est révélé par un Dieu. L’ancrage de leurs valeurs dans le passé est gravé dans leur mythologie. L’ancrage dans le présent est inscrit dans leurs rites. La gouvernance de leurs valeurs est opérée par leur clergé. La formule a globalement fonctionné jusqu’à l’apparition de l’imprimerie qui les a déstabilisés.

 

Dès lors, avec l’immédiateté et la multitude de sources d’information encore multipliée par Internet, la religiosité s’affaisse et les occupants de ce siège du Juste sont désormais sur des sièges éjectables. La perte d’influence de ces ex-champions de l’éthique place chaque personne en position de fixer ses propres projets et limites, sans tenir compte des autres. Ainsi, le profit à court terme, les ambitions personnelles et les projets alternatifs sont en situation de l’emporter, au détriment de la cohésion sociale et de l’intérêt général à long terme. En l’absence de docteurs capables de prévenir et soigner les fractures sociales, la société et les entreprises peuvent se disloquer. Voilà pourquoi la place est libre pour des contestataires énergiques, y compris sans alternative fondée sur la quête de vérité, comme les gilets jaunes, l’islam radical, des protestataires en tout genre, de jeunes ambitieux créateurs de partis politique sans ossature morale...

 

 

 

Désormais, l’assemblage de ces quatre clés doit être actualisé tant dans l’entreprise que dans la société. Leur transposition bouleverse à la fois le management et les démocraties :

 

 

 

 

 

  1. Le système de valeurs partagées ne peut plus être révélé, mais doit être accouché, parce que choisi et vécu en pratique par le corps social,
  2. L’ancrage dans le passé ne peut plus relever d’une mythologie invérifiable, voire démentelable, mais doit se retrouver dans un récit de l’histoire contrôlable et optimisable par tous,
  3. L’ancrage dans le présent ne peut plus être établi via des rites à observer, mais doit reposer sur l’évaluation réciproque et simultanée de la convergence de l’action de tous les dirigeants/élus et tous les dirigés/citoyens,
  4. La gouvernance ne peut plus être confiée à un clergé situé en bordure du collectif, mais doit reposer sur la capacité dialectique professionnelle, sociale et sociétale de tout un chacun. D’abord comme participant, puis comme animateur, chacun à sa place selon les sujets.

 

La solution réside dans une combinaison simple, réduite à un processus unique : construire un mécanisme de partage et d’analyse collégiale de l’information. L’instauration d’une quête commune de meilleurs niveaux de vérité relève d’une démarche scientifique de recherche collective et citoyenne. Cela suppose d’instaurer un vrai dialogue à tous les étages, avec tout le monde, en prenant les sujets les uns après les autres. Il s’agit d’inclure la diversité des acteurs et de leurs paroles avec beaucoup de bienveillance, mais sans aucune complaisance.

 

Conditionnée au respect mutuel, cette intégration minutieuse construit la reconnaissance par les participants de leurs différences et de ce qui les unit. Ils peuvent alors entrer en communion sur la base d’un raisonnement collectif approfondi, une meilleure compréhension du passé, du présent et de l’avenir, dégagée de toute pensée unique ou dominante qui tronque les faits et asservit les personnes.

 

Car, l’effet bénéfique sur l’évaluation et l’élévation collective se vérifie aussi sur le plan personnel : au contact des autres, chacun s’extrait du simplisme et du tout à l’égo et peut alors mieux se connaitre, mieux se construire et mieux se réinventer. Ainsi, la combinaison de l’humilité individuelle et de l’ambition collective fait progresser l’ensemble sur la voie de la sagesse, de l’harmonie et de l’intérêt général.

 

Internet et les réseaux sociaux restent encore des empilements de monologues. Reste à leur adjoindre un mécanisme précis de diagnostic partagé, activable tant au sein de l’entreprise, que d’une ONG, d’un syndicat, ou à l’échelle d’un territoire national ou international. C’est la condition de l’adaptation continue, de l’innovation et de la pérennité de toute organisation, privée ou publique… tout comme, d’ailleurs, pour la durabilité de l’exercice de la fonction de décideur. Alors, nous réinventerons en même temps le management et la démocratie ! Alors, cette conversion organisationnelle nous permettra de réunir les conditions de réussite des multiples transitions énergétique, climatique, sanitaire, sociale, politique…

 

Pour remonter à la source de la cohésion sociale et de la performance durable : bientôt la plateforme de dialogue de l’Odissée... !

 

 

 

 

 

 

 

Vidéo Youtube

Chronique du 09/06/2021 La Tribune

 

 

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